Les frontières de l’universel. Je me souviendrais longtemps de ma première rencontre avec la peinture puissante de Gian-Carlo Bargoni! C’était à l’occasion d’un salon Art Paris. Je visitais les lieux à la recherche de nouveaux talents lorsque je suis tombé littéralement en arrêt devant trois grandes toiles rouges de l’artiste. Je suis resté stupéfait et pétrifié par ces fulgurances. Je n’osais plus bouger. Tout le reste de l’exposition, subitement, n’avait plus d’intérêt. Cette violente abstraction expressionniste me parlait profondément. Elle me disait à quel point la peinture est un bonheur. Quelques jours plus tard j’étais chez l’artiste en Italie, dans son atelier de Castell’Arquato. Ce fut un moment inoubliable, une véritable plongée au cœur même de la peinture. Bargoni, enthousiaste et cultivé, parlait de son travail avec la fougue des passionnés et je buvais ses paroles. De nombreuses années plus tard j’ai l’honneur d’écrire ces quelques lignes. Je dois confesser que jamais le peintre ne m’a déçu. Travailleur infatigable, artiste inimitable, ami précieux, je reviens toujours en Italie avec une excitation d’adolescent. Que vais-je découvrir? Quelle bonne surprise m’attend? Amateur des belles et bonnes choses de la vie, le peintre cultive volontiers son Carpe Diem personnel. Je retrouve chaque fois le même Bargoni, lutteur déterminé et infatigable défenseur de la bonne peinture, loin des cercles fermés du microcosme de l’art conceptuel. Sur le plan artistique, il construit une œuvre puissante dans la splendeur de l’informel qui l’a fait entrer dans la cour des grands artistes contemporains. Ses tableaux bruissent de jaillissements picturaux qui dispensent un lyrisme fascinant. La force des images est telle, qu’il faut du temps pour en saisir toute la réflexion plastique. De cette constante effusion chromatique naît une flamboyance aux harmonies sensuelles qui touche à l’intime.
BARGONI
Bargoni jette sur la toile des rouges, des jaunes, des noirs, des verts avec une maîtrise assumée, là où tant et tant d’autres artistes abstraits se laissent dépasser par les évènements pour ne produire que des images molles. Maître de la lumière, il est d’une exigence absolue et plonge dans ses tableaux sans jamais répéter le même geste. Il suit son instinct et traque les accidents picturaux avec l’œil du chasseur. C’est de cette démarche que naît l’étonnante spontanéité de sa peinture. Poliakoff disait: «Il faut qu’il y ait dans un tableau plus d’âme que d’intelligence». Il signifiait ainsi l’importance de l’énergie première, «l’intuitif» de la véritable création. L’âme des tableaux de Bargoni est celle des poètes que Charles Trenet chantait: «Longtemps, longtemps, longtemps – Après que les poètes ont disparu – Leurs chansons courent encore dans les rues…». C’est cela l’insondable plaisir de la peinture. Personne ne peut rester insensible à ce vocabulaire formel où les vibrations lumineuses sont parcourues de balafres zébrées qui provoquent de véritables « tremblements d’espace ». La peinture de Gian-Carlo Bargoni se fait alors souveraine. Elle transmet avec une certaine impudeur les sentiments, les désirs, les passions et les angoisses de l’artiste. Le peintre est nu devant nous avec ses ruissellements de couleur. L’œuvre d’art est cruelle quand elle montre l’intime de l’artiste, mais elle échappe alors au moi narcissique pour atteindre l’universel. « Quand vint Zarathoustra en la plus proche ville qui se situe à la lisière des forêts, il y trouva nombreux peuple assemblé sur la place publique; car annonce était faite qu’on allait voir un funambule » écrit Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra. Bargoni est ce funambule fragile qui joue avec les frontières de l’universel. (Gérard Gamand)